Madame Bovary
Le scandale et le procès
En mai 1856, il envoie le manuscrit à Maxime
Du Camp, l’un des fondateurs de la Revue de Paris avec Théophile Gautier et
Arsène Houssaye. Après lecture du manuscrit, Maxime félicite Gustave. Mais
trois mois plus tard, il lui fait comprendre, dans lettre embarrassée, que
l’œuvre, trop touffue, gagnerait à être allégée de certains passages superflus.
Il est nécessaire, entre autres, de supprimer le chapitre de la noce,
d’écourter les comices, de sacrifier une bonne partie du pied-bot. C’est le
codirecteur de la revue qui se chargera de décider des coupures à faire,
déléguant à une arpette la tâche de rendre l’œuvre parfaite. Mis devant le fait
accompli, Flaubert négocie, tempête, hurle. Rien n’y fait. Il est impuissant
face à la détermination des dirigeants de la revue qui, de plus, ont peur
d’être condamnés par la censure. Tout au plus obtient-il l’insertion d’un texte
de protestation dans la revue. Celui-là même qui éveillera les soupçons des
autorités. Les craintes de la Revue de Paris n’étaient pas infondées : la
publication de Madame Bovary est interrompue. Flaubert est poursuivi, ainsi que
Léon Laurent-Pichat et Auguste-Alexis Pillet, le gérant et l’imprimeur. Le fils
du docteur Flaubert en correctionnelle ! Là même où sont traduits les escrocs,
les souteneurs et les prostituées ! Le choc est rude pour celui qui toute sa
vie a été déchiré entre deux postulats contraires, l’art pour l’art et la vie
bourgeoise.
Lorsqu’il se présente à 11 heures à
l’audience du 29 janvier 1857 de la 6e chambre criminelle du tribunal
correctionnel de Paris, Gustave Flaubert a trente-quatre ans. Fatigué, il en
paraît dix de plus. Il y a là ses amis, des écrivains, des critiques, et les
deux co-inculpés. L’écrivain est inquiet. « Je m’attends à une condamnation,
écrit-il à son frère Achille, cinq jours plus tôt. Car je ne la mérite pas. »
La loi du 17 mai 1819, à laquelle les juges auront si souvent recours, permet
de traduire devant les tribunaux « tout outrage à la morale publique et
religieuse ou aux bonnes mœurs ».
Napoléon III exerce le pouvoir absolu. Le
plébiscite du 21 décembre 1851 lui a donné l’approbation du pays. Il ne se
contente pas de limiter l’opposition parlementaire : il muselle les gens de
plume. Le fidèle Persigny, qui lui a permis d’étendre son influence dans les
journaux et d’accroître ainsi sa côte de popularité, devient « le maître
censeur » du xixe siècle, tout au long duquel de nombreux écrivains feront les
frais du rigorisme d’État. C’est ainsi qu’en 1853 les frères Goncourt sont poursuivis
pour un article qui leur vaut d’être blâmés. D’autres, comme Hugo, ont été
contraints à l’exil. En 1857, outre Flaubert, Baudelaire est condamné à retirer
six poèmes des Fleurs du Mal et Eugène Sue ne survit pas à la saisie des 60 000
exemplaires de ses Mystères du peuple.
Flaubert sera confronté à la mauvaise foi du
terrible, redoutable et ambitieux procureur Ernest Pinard, qui ira jusqu’à
incriminer des passages non visés par l’assignation, faisant référence à des
extraits de la Tentation de saint Antoine, publiés au même moment dans la revue
l’Artiste, sortant du contexte des phrases qui automatiquement prenaient une
tout autre allure que celle voulue par l’écrivain. « La couleur générale de
l’auteur, c’est la couleur lascive », s’indignera-t-il. Il y sera question d’«
images voluptueuses mêlées aux choses sacrées », de l’art sans règle ou encore
de la morale bafouée…
L’avocat de la défense démontera les
arguments l’un après l’autre, analysant le livre chapitre par chapitre,
démontrant l’utilité de l’œuvre et sa moralité dès lors qu’Emma Bovary est
punie de ses actes. Le 7 février à 15 heures, Flaubert est acquitté. Mais aussi
blâmé pour « le réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des
caractères ». Le jugement lui rappelle d’ailleurs que la littérature a pour
mission « d’orner et de récréer l’esprit en élevant l’intelligence et en
épurant les mœurs » ! Le Parquet ne fera pas appel, de peur d’un acquittement
encore plus retentissant.
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