martes, 17 de noviembre de 2015

Madame Bovary, c’est moi.

Madame Bovary, c’est moi.


C’est assurément la citation la plus célèbre de Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi. »
Or, cette phrase, Flaubert ne l’a jamais écrite.
Du moins, on ne la trouve dans aucun de ses textes actuellement connus, ni dans une lettre, ni dans un carnet de notes ni dans le dossier de genèse de Madame Bovary.
Flaubert aurait dit cette phrase. Une parole prononcée est invérifiable. On lui accorderait quelque crédit si elle émanait de témoins fiables, par exemple Louise Colet dans ses Mementos, Maupassant, Zola, ou même Du Camp, toujours un peu suspect aux yeux des flaubertiens, ou encore les frères Goncourt, considérés comme médisants, mais crédibles quand ils rapportent des discours de Flaubert.
Si l’énoncé « Madame Bovary, c’est moi » est à ce point sujet à suspicion légitime, c’est d’abord en raison de la chaîne de transmission. Deux intermédiaires, dont une personne inconnue, se sont relayées entre Flaubert et celui qui consigne cette phrase par écrit, René Descharmes, dans sa thèse Flaubert. Sa vie, son caractère et ses idées avant 1857, parue chez Ferroud en 1909. En voici le texte :
« Une personne qui a connu très intimement Mlle Amélie Bosquet, la correspondante de Flaubert, me racontait dernièrement que Mlle Bosquet ayant demandé au romancier d’où il avait tiré le personnage de Mme Bovary, il aurait répondu très nettement, et plusieurs fois répété : « Mme Bovary, c’est moi ! — D’après moi » (p. 103).
La personne qui a servi de maillon intermédiaire entre Amélie Bosquet et René Descharmes n’est pas nommée. Descharmes préserve son anonymat parce qu’elle est encore en vie et qu’elle entretenait des relations « intimes » avec la correspondante de Flaubert. Une note manuscrite de Descharmes, conservée à la Bibliothèque nationale de France, donne l’identité de cette personne : il s’agit de M. E. de Launay qui habitait au 31 rue Bellechasse à Paris (BnF, N.A.F., 23.839, f° 342). De ce M. de Launay, on ne sait rien. Mais cette note d’identification prouve que Descharmes n’a pas inventé la citation. Si elle était sortie de son imagination, il n’aurait pas éprouvé le besoin de noter par écrit le nom d’un informateur. Par ailleurs, il aurait donné à la citation inventée une place éminente dans sa thèse, alors qu’il se contente de la citer en note, montrant ainsi qu’il n’accorde à ce témoignage qu’une importance secondaire. En bon universitaire sérieux, il ne la commente pas, se gardant de fonder aucune interprétation sur une base dont il ne cache pas la fragilité.
Outre le peu de notoriété des témoins, un autre facteur rend fragile la transmission : la durée qui s’est écoulée entre le moment où Flaubert aurait dit cette phrase et la date à laquelle Descharmes la recueille. « Me racontait dernièrement », écrit Descharmes en 1909. Amélie Bosquet est décédée en 1904. Flaubert et elle se sont connus en 1859, et ils se sont brouillés dix ans plus tard, après la publication de L’Éducation sentimentale. René Descharmes rapporte donc un souvenir vieux d’au moins quarante ans.
La postérité n’a retenu que la première partie de la citation, en négligeant la suite : « D’après moi ». Cette locution peut avoir plusieurs sens : selon moi ou à mon avis ; en me prenant pour modèle (comme dans l’expression d’après nature), ou encore « librement inspiré de », par exemple lorsqu’un adaptateur prend ses distances avec la lettre d’un texte en prévenant le lecteur ou le spectateur : œuvre d’après tel auteur.
Même si on ne tient pas compte de cette précaution oratoire qui introduit une marge d’incertitude dans l’identification entre l’auteur et le personnage, la déclaration de Flaubert ne s’accorde pas avec ce qu’il dit de son roman et de son personnage éponyme dans ses lettres.

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